Face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, l’un des aspects consensuels de la transition agroécologique insiste sur le fait de mobiliser les interactions biotiques plutôt que d’utiliser des intrants non biologiques et à faire preuve de prudence dans l’utilisation des ressources non renouvelables (M. Cerf, 2023). Un levier majeur dans cet objectif consiste à diversifier les pratiques des agriculteurs, dans le temps et dans l’espace, pour réduire le risque d’échec des cultures (Vialatte et coll., 2023). Celles-ci étant exposées à des stress abiotiques et biotiques accrus, de plus en plus d’agriculteurs explorent l’utilisation de la diversification intra-parcelle dans le but de diminuer ce risque. Ils cultivent ainsi des mélanges de variétés ou d’espèces afin de bénéficier d’une stabilité des rendements, les composantes d’un mélange pouvant se compenser l’une l’autre. Les mélanges sont également conçus pour permettre un meilleur contrôle des maladies, tout en diminuant la dépendance à l’égard des engrais azotés dans le cas des mélanges céréales-légumineuses.
Cependant, les programmes de sélection des variétés ne travaillent qu’avec des parcelles monovariétales, c’est-à-dire semées avec une seule variété, où chaque plante est un clone génétique de sa voisine, malgré la corrélation modérée entre le rendement de ces peuplements avec celui des peuplements mélangés, due à des interactions entre les facteurs « variété » et « type de culture » (Demie et al, 2022). Cela plaide en faveur du développement de variétés spécifiques adaptées à la culture en mélange, mais l’explosion combinatoire qui en résulte est un problème majeur pour les sélectionneurs, N variétés par espèce permettent d’assembler Nx(N-1)/2 mélanges binaires équilibrés, et encore plus si l’on modifie les proportions au semis.
Dans le cadre du projet MoBiDiv (ANR PPR CPA), en prenant comme exemple le couple d’espèces blé tendre d’hiver et pois protéagineux d’hiver (avec mon collègue J. Enjalbert dans l’équipe DEAP de l’unité GQE-Le Moulon à Saclay, et en collaboration avec N. Moutier de l’unité IGEPP à Rennes et A. Baranger maintenant dans l’unité AGAP à Montpellier), nous avons conçu un essai dans lequel chacune des 200 variétés de blé est cultivée en condition monovariétale et en mélange avec une variété de pois parmi deux différentes, pour un total d’environ 600 modalités différentes. En répliquant chacune dans deux blocs complets, et en ajoutant des parcelles additionnelles pour des prélèvements de plants au cours du cycle dans le cadre du projet CoBreeding (ANR PEPR A&N), l’essai global dépasse les 1200 micro-parcelles.
Ce type d’essai est très rare de par la diversité génétique étudiée dans un même environnement et la présence de toutes les modalités monovariétales et en mélange. C’est donc aussi une occasion à ne pas manquer de rassembler des collègues de plusieurs disciplines pour caractériser de multiples caractères dans les mêmes peuplements. Cela s’est particulièrement illustré la semaine du 7 au 10 avril, dans les champs de l’UE Versailles-Saclay, sous un soleil éclatant.
Des membres de l’équipe de F. Roux et F. Vailleau dans l’unité LIPME à Toulouse se sont succédé toute la semaine pour réaliser une campagne de 4 000 prélèvements de disques foliaires (Figure 1 et Figure 2) dans le but d’en extraire l’ADN des microorganismes et comparer les abondances de bactéries et champignons selon la variété de blé, de pois et le type de culture.
Le mardi, encadrés par J. Enjalbert, T. Vidal de l’unité BIOGER et leur étudiante de M2 M. Delrieu, une quinzaine d’étudiants de master d’AgroParisTech sont venus noter les maladies du blé (Figure 3 et Figure 4). Organisés en trinôme, ils pu noter plusieurs centaines de micro-parcelles dans la journée.
Le même jour, deux étudiantes en stage de M2 dans l’équipe DEAP, M. Mesnil et D. Wang, ont réalisé des mesures d’interception lumineuse par les couverts à l’aide d’un outil doté de 64 capteurs, un ceptomère SunScan (Figure 5). Un indice de surface foliaire ramené à la surface au sol peut ensuite être calculé et comparé entre variétés et types de culture. En parallèle, un doctorant dans l’équipe DEAP, V. Freitas, également co-encadré par J.-M. Gilliot d’AgroParisTech, a effectué des vols de drone à partir des images desquels des indicateurs seront calculés et comparés avec celui issu du SunScan (Figure 6).
Au final, ce fut une semaine intense en phénotypage, génératrice de nombreuses données qui occuperont plusieurs stagiaires et doctorants à l’avenir !
Participants
- unité GQE : T. Flutre, J. Enjalbert, J. Salomon, V. Freitas, M. Mesnil, D. Wang
- unité BIOGER : T. Vidal
- unité LIPME : F. Roux, C. Gibelin-Viala, M. Hanemian, P. Duran, C. Bartoli, F. Vailleau
- AgroParisTech : J. Fiévet, L. Gentil, F. Petit, C. Echeverry, Y. Taieb
Crédits photos : I. Genau - GQE/IDEEV
Contact : Timothée FLUTRE - Timothee.flutre @ inrae.fr