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Génétique Quantitative et Évolution - Le Moulon

Passage en force de la LPPR : le gouvernement doit retirer son projet, unanimement critiqué par les personnels de la recherche publique.

En avril dernier, le personnel de GQE-Le Moulon avait affiché son inquiétude vis-à-vis des propositions contenues dans les rapports préparatoires de la LPPR et en proposait une analyse au regard de la propre situation de l’UMR (Cf. ci-dessous).

Alors que nous vivons une crise sanitaire d’ampleur inégalée, le gouvernement a cyniquement décidé en ce mois de juin d’imposer son projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), unanimement critiqué par les personnels de la recherche publique à plusieurs reprises avant la crise. L’émergence du COVID-19 a pourtant mis en lumière l’absurdité de cette idéologie court-termiste, fondée tant sur la course au profit et la précarité matérielle et intellectuelle, que sur l’idée erronée que la recherche est le fait de héros providentiels. Quant au calendrier, à marche forcée, il est plus qu’inacceptable : le gouvernement doit retirer son projet.

Les avancées de la science sont le résultat d’une intelligence collective, fondée sur les coopérations au sein d’une communauté scientifique, entre femmes et hommes acteurs de la recherche (chercheurs, ingénieurs, techniciens et administratifs), entre laboratoires, entre institutions de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, au-delà des frontières. Les résultats de la recherche se construisent dans la durée, par l’accumulation de connaissances successives.

Motion de l’UMR GQE-Le Moulon contre la LPPR - Avril 2020

Nous, personnels de l’UMR Génétique Quantitative et Évolution – Le Moulon, exprimons notre opposition aux orientations affichées dans les rapports préparatoires à la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Nous partageons certains des constats dressés dans les rapports préparatoires, mais regrettons que les préconisations s’inscrivent dans la continuité des réformes antérieures, dont nous subissons aujourd’hui les conséquences.

- Baisse des recrutements de titulaires : entre 2012 et 2018, les établissements publics scientifiques et techniques (EPST, tels que : CNRS, INSERM, INRAE, INED), ont perdu 3650 postes de titulaires. À l’université, le recrutement de maitres.sse.s de conférences a diminué de 36 % et ceux de professeur.e.s des universités de 40 %, au moment où le nombre d’étudiants s’accroissait fortement, constat auquel il faut ajouter les nombreuses suppressions de postes administratifs et de tous les autres métiers d’appui à la recherche, essentiels à nos missions.

À l’UMR GQE - Le Moulon, les personnels d’expérimentation au champ sont passés de 8 agents permanents à 3 : perte de plus de 50 % des agents que les chercheurs, stagiaires et CDD courts tentent de compenser par un surcroît de travail ; les personnels gestionnaires sont passés de 3 agents permanents à 1.

- Multiplication et création de nouveaux contrats précaires (“CDI” de mission ou de projet, tenure track) : ces nouvelles formes d’emplois aboutissent à l’amplification de la contractualisation et de la précarisation dont souffrent déjà profondément l’enseignement supérieur et la recherche. Cela accroîtra encore les pertes de compétences liées aux départs des CDD et la déperdition d’énergie pour reformer de nouvelles personnes.

À l’UMR GQE - Le Moulon, le collectif pallie l’absence de personnels permanents et subit la réduction a minima des services, externalisés faute de moyens financiers : il s’occupe des poubelles, de l’entretien des bâtiments et de leurs abords, de la maintenance des véhicules et des machines agricoles, de la réalisation des cultures…

- Renforcement du financement sur projet et de la logique de mise en concurrence : le financement sur projet court conduit à une prolifération des tâches liées au montage, à la gestion et à l’élaboration de comptes rendus des projets au détriment du temps consacré à la recherche. A l’exception notable du programme Investissements d’Avenir, il s’inscrit dans une logique de cycle court, au détriment d’une recherche de long terme nécessaire à la mise en place de dispositifs expérimentaux innovants et d’une prise de risque véritablement créative. La mise en concurrence, au détriment de la coopération, se traduit par une concentration des moyens sur un nombre limité de laboratoires et produit une dualisation délétère du monde de la recherche, qui renforce les déjà dominants en fragilisant davantage tous les autres. La revalorisation ciblée des salaires et la récompense au mérite va toucher toutes les catégories de personnels, y compris les ITA, à travers la LPPR et la loi de modernisation de la fonction publique, sans que la question de l’évaluation de l’excellence n’ait été abordée. A l’heure où l’évaluation quantitative des performances de la recherche (h-factor, indices de citation, …) est questionnée par les universités et les EPST (presque tous signataires de la convention DORA), l’utilisation d’indices visant à mesurer « l’innovation, les réussites aux appels d’offre européens ou nationaux » est discutable.

À l’UMR GQE - Le Moulon, la part du financement récurrent dans le budget de fonctionnement de l’UMR, est aujourd’hui de moins de 30%. Un différentiel en fonction des publications ne nous semble pas possible dans ce contexte. Concernant la revalorisation des carrières au mérite, la grande majorité de nos ITA a aujourd’hui des niveaux de responsabilités qui dépassent leur niveau de carrière. Sur des critères objectifs, ils devraient presque tous changer de corps. Quel budget est prévu pour cela dans la future loi ?

- Autonomie des universités : Nous sommes inquiets du renforcement du rôle des composantes universitaires dans la modulation de service des enseignant.e.s-chercheur.e.s, et en particulier de la suppression de la clause d’accord des intéressés pour la modulation des services d’enseignement. Les 192h ETD/an doivent rester un maximum car la formation par la recherche, au niveau universitaire, est importante de la Licence au Master. Dans l’UMR GQE - Le Moulon, les enseignant.es-chercheur.e.s ont vu leur service d’enseignement passer de 192h ETD par an à 220h ETD en moyenne au détriment du temps consacré à la recherche. Cela se traduit inévitablement par une baisse des performances sur les publications. Nous ne voyons pas, dans les textes actuels, de volonté d’élaboration d’indicateurs prenant en compte la spécificité de notre métier. Avec la mise en place de régimes dérogatoires pour les universités, nous sommes inquiets concernant la reconnaissance de notre investissement dans une école universitaire de premier cycle.

Telle qu’elle est présentée à ce jour, la LPPR accentuera le phénomène de dégradation des conditions de notre travail jusqu’à rendre impossible une recherche de qualité – créative, audacieuse, utile – dans l’un de nos domaines, l’agronomie, qui est celui du temps long. À l’inverse, les personnels de GQE - Le Moulon affirment leur attachement à un véritable service public de la recherche et de l’enseignement, capable de mener ses activités scientifiques de manière autonome et au service du plus grand nombre, y compris quand ces activités dérangent les pouvoirs politiques et/ou économiques du moment. Ils soutiennent par conséquent :

  • l’augmentation des crédits récurrents aux unités de recherche, et leur pluriannualisation, pour assurer un rééquilibrage par rapport aux financements sur projets ;
  • l’augmentation nette et durable du nombre de titulaires recrutés,chercheur.e.s, enseignant.e.s-chercheur.e.s, personnels d’appui (techniciens, ingénieurs, administratifs) ;
  • l’augmentation substantielle de leurs salaires, qui n’ont été revalorisés que de 1.2% depuis 2010 et se situent aujourd’hui nettement en dessous des salaires moyens des pays de l’OCDE. Cela contribuerait non seulement à améliorer leurs conditions de travail mais aussi à rendre attractives les carrières scientifiques au moment où de nombreux défis doivent être relevés ;
  • la baisse du nombre d’heures enseignées par les enseignant.es-chercheur.e.s (EC), ce qui soulagera tous les EC actuels pour leur permettre de s’investir plus dans leur recherche et dégagera des heures sur lesquelles de jeunes collègues pourront être recrutés ;
  • le transfert vers la recherche publique d’une part des budgets très importants du Crédit Impôt Recherche, qui s’est distingué par des effets d’aubaine ne rentrant pas dans les objectifs initiaux et qui renforce exclusivement la recherche privée et la recherche partenariale privé - public, qui n’est pas pertinente dans tous les domaines ;
  • la débureaucratisation des évaluations afin de favoriser la qualité des productions et des parcours au lieu de la seule production quantitative.

GQE – Le Moulon appelle l’ensemble des collègues de l’enseignement supérieur et de la recherche à soutenir et à participer aux mobilisations contre une LPPR basée sur les préconisations des rapport préparatoires, et pour la défense des conditions indispensables à une recherche et un enseignement de qualité.